Qu’en est-il de la demande de suspension de l’exécution provisoire d’un jugement, formulée en appel ?

Qu’en est-il de la demande de suspension de l’exécution provisoire d’un jugement, formulée en appel ?

Publié le : 18/10/2022 18 octobre oct. 10 2022

La loi « Pot Pourri I », entrée en vigueur le 1er novembre 2015, a totalement bouleversé les règles existant alors en matière d’exécution provisoire des décisions.  Dorénavant, et sauf exception légale ou décision du juge spécialement motivée, l’exécution provisoire d’un jugement contradictoire ne doit plus être demandée mais est de droit (article 1397, al.1 du Code judiciaire).

Le Tribunal de première instance du Brabant wallon, siégeant en degré d’appel, a toutefois été amené à s’interroger sur les possibilités offertes par les articles 8 et 13 de la Convention européenne de Sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (ci-après « la Convention ») – ainsi que, plus accessoirement, par l’article 1 du Protocole additionnel à la Convention visant la protection de la propriété et par le Protocole n°15 amendant la Convention et y introduisant une référence au principe de subsidiarité et à la doctrine de la marge d’appréciation – de « faire surseoir » à l'exécution provisoire nonobstant le texte légal clair.

Ces dispositions conventionnelles permettent-ils à un juge siégeant en degré d’appel, compte tenu des circonstances spécifiques de la cause, de faire surseoir à l’exécution provisoire d’un jugement qui, en l’espèce, est de droit et ce contre les dispositions du Code judiciaire ? Telle est la question sur laquelle le tribunal, dans le jugement commenté du 7 septembre 2022, s’est penché.

Ainsi, outre le droit à un recours effectif devant une instance nationale garanti par l’article 13 de la Convention, la partie appelante disposerait également d’un recours inhérent au respect des droits garantis par les autres dispositions de la Convention, et plus précisément en l’espèce ceux définis à l’article 8 qui consacre le droit au respect de la vie privée et familiale, du domicile et de la correspondance, pour déroger aux règles fixées par le Code judiciaire en matière d’exécution provisoire.

Dans un litige où le juge de paix, par un jugement contradictoire, avait prononcé la résolution d'un contrat de bail aux torts de la locataire et autorisait son expulsion, celle-ci, dans le cadre de l’appel qu’elle avait interjeté, avait demandé au tribunal, au bénéfice de l'article 1066, alinéa 2, 6° du Code judiciaire, qu’il prononce la suspension de l’exécution provisoire avant tout examen au fond. 

Un bref rappel des règles s’impose. L’article 1402 du Code judiciaire fixe un principe : les juges d'appel ne peuvent en aucun cas, à peine de nullité, interdire l'exécution des jugements ou y faire surseoir. Une exception est toutefois prévue : l'application de l'article 1066, alinéa 2, 6° du Code judiciaire, lequel permet d’examiner en débats succincts le recours formé contre le caractère exécutoire par provision sans caution ni cantonnement d’une décision, ou dont l'exécution par provision est expressément autorisée ou refusée par le premier Juge.

Le jugement rendu par le juge de paix, étant un jugement contradictoire, était automatiquement exécutoire par provision. Le Juge n’avait pas à la prononcer, en conséquence. Il ne l’a pas non plus refusée. Il n’a pas non plus exclu la possibilité (qui est de droit) de cantonnement ou de caution. Ainsi, en principe, le tribunal siégeant en appel ne pouvait pas faire surseoir à l’exécution provisoire du jugement, par simple application de la loi. 

Toutefois, dans le cadre de la procédure dont question, la locataire a soutenu qu’une décision autorisant l’expulsion constituait une ingérence particulièrement grave dans les droits consacrés par l’article 8 de la Convention, en relevant en outre qu’autoriser l’exécution provisoire aboutirait de facto à la priver d’un recours effectif au sens de l’article 13 de la Convention puisque cela engendrerait, selon elle, des conséquences irréversibles, à savoir, entre autres, son expulsion.  

L’article 8 de la Convention, on l’a dit, consacre le droit au respect de la vie privée et familiale, ainsi que le droit au respect de son domicile. Une ingérence à ces droits est possible pour autant que celle-ci soit prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la protection des droits et libertés d’autrui. 

Il s’avère que le législateur en prévoyant la possibilité pour un tribunal de prononcer la résolution du contrat de bail aux torts du preneur, dans l’hypothèse d’un ou de plusieurs manquements contractuels dans le chef de celui-ci, a pu le faire sans violer cet article 8 dans la mesure où en agissant de la sorte, il assure la protection des droits et liberté d’autrui, à savoir les droits du bailleur d’obtenir un juste « rendement » du bien donné en location. Le tribunal relève aussi que les mesures adoptées par le législateur belge sont proportionnées au but poursuivi, notamment en ce qu’est prévue l’intervention du CPAS.

Ainsi, le fait qu’en droit belge un jugement contradictoire soit exécutoire nonobstant tout recours, n’implique pas que le législateur ait violé l’article 8 de la Convention dès lors qu’il assure la protection des droits et libertés d’autrui, à savoir les droits d’une partie à un contrat « victime » d’un ou de plusieurs manquements graves de la part de son cocontractant, et ce compte tenu des conditions légales qui doivent être remplies pour que l’exécutoire provisoire puisse avoir lieu nonobstant un appel.

Par ailleurs, l’article 1397 du Code judicaire prévoit que les jugements définitifs sont exécutoires par provision nonobstant appel et sans garantie. Toutefois, il est également prévu qu’il peut être dérogé à cette règle moyennant une décision spécialement motivée, c’est-à-dire si le premier juge estime qu’au regard des circonstances spécifiques de la cause, une telle dérogation se justifie. 

Ainsi, celui-ci respecte l’article 13 de la Convention.

En effet, en l’espèce, la question de l’exécution provisoire ainsi que celle de la dépossession de la défenderesse de son domicilie ont pu être appréciées devant une instance nationale, à savoir par le premier juge.

Par ailleurs, il convient d’avoir à l’esprit que le double degré de juridiction n’est pas un principe général de droit.
En l’espèce, le tribunal a donc considéré à juste titre que les articles 8 et 13 de la Convention européenne de Sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et les Protocoles cités plus haut, ne donnent pas la possibilité légale, compte tenu des circonstances spécifiques à la cause, au tribunal siégeant en degré d'appel de « faire surseoir » à l'exécution provisoire d’un jugement hors les cas prévus par le Code judiciaire.

Le raisonnement tenu en l’espèce doit être approuvé. Le propre de l’exécution provisoire est d’être provisoire et d’être ainsi pratiquée aux risques et périls de celui qui la poursuit. Ce caractère provisoire s’expliquant par la possibilité pour la décision d’être entachée d’un mal jugé et d’être par conséquent réformée. 



 

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